CHAPITRE HUIT

 

 

Cadfael s’éveilla dans la lumière gris de perle de la naissance de l’aube avec, au-dessus de lui, la voûte immense du ciel encore piqueté à son zénith d’étoiles pâlissantes. Il se rappela aussitôt sa situation présente. Tout ce qui s’était passé lui avait confirmé qu’ils n’avaient pas grand-chose à craindre de leurs ravisseurs, au moins tant qu’ils gardaient leur valeur marchande. Il ne fallait pas trop compter s’évader, toutefois, les Danois étant manifestement sûrs des précautions qu’ils avaient prises. Le rivage était étroitement surveillé, les abords du camp bien gardés. Dans cette enceinte, il n’était guère besoin de maintenir une surveillance constante sur une jeune fille et un religieux qui n’avait plus vingt ans. Qu’ils aillent où ils voulaient, ils ne s’évaderaient pas, et à l’intérieur du cercle où ils étaient enfermés ils n’étaient pas dangereux.

Cadfael se rappelait distinctement qu’on l’avait nourri aussi généreusement que les jeunes gardes qui l’avaient accompagné et il était certain qu’on avait aussi donné à manger à Heledd, même si on la traitait un peu par-dessus la jambe. Une fois qu’on l’avait laissée seule, sans qu’on l’observe, elle aurait eu assez de bon sens pour se sustenter. Elle n’était pas folle au point de refuser de prendre des forces alors qu’elle était sur le point de livrer combat.

Il était allongé, assez confortablement à l’abri d’un coupe-vent fait de branchages, dans un creux de terrain, tapissé de gazon épais, enveloppé dans son manteau. Turcaill, cela lui revint, le lui avait lancé quand on l’avait déballé des affaires qu’il portait sur son cheval. Autour de lui, une dizaine de marins danois dormaient du sommeil du juste. Cadfael se leva et s’étira, secouant le sable de sa robe. Personne ne tenta de l’arrêter quand il se dirigea vers le tertre pour regarder autour de lui. Le camp était en activité, on avait déjà allumé des feux et les quelques chevaux présents, y compris le sien, avaient été abreuvés et lâchés dans un pâturage à l’abri du vent, où l’herbe était plus fraîche. Cadfael regarda dans la direction du pays de Galles, massif et familier avant de retraverser le camp, sans encombre, afin de trouver un point surélevé d’où il pourrait voir au-delà du périmètre de la base d’Otir. Il faudrait qu’Owain vienne du sud, après avoir longuement marché pour contourner la baie qui s’enfonçait profondément vers ce point cardinal, s’il voulait attaquer cette place forte par voie de terre. Par la mer, il ne serait pas à son avantage, n’ayant pas de bateaux capables d’affronter la flotte danoise. Et Carnarvon semblait tellement loin de ce camp fortifié.

Les quelques tentes solidement plantées qui abritaient les chefs de l’expédition, avaient été dressées au centre du camp. Cadfael les longea de près et s’arrêta pour jeter un coup d’œil aux hommes qui se trouvaient à proximité. Deux d’entre eux en particulier portaient les marques reconnaissables de l’autorité, bien que curieusement ils n’allassent pas du tout ensemble, comme si deux êtres à qui incombaient de mêmes responsabilités pouvaient, d’une façon ou d’une autre, se porter un certain antagonisme. Le premier avait une bonne cinquantaine d’années. Il était trapu, avec une poitrine de taureau et la carrure d’un tronc d’arbre. Son teint, bronzé par le soleil, le vent et les embruns était d’un brun roux plus soutenu que les deux tresses blondes encadrant son large visage, et sa longue moustache qui descendait plus bas que sa mâchoire. Ses bras étaient nus jusqu’aux épaules à l’exception des bandes de cuir qui lui entouraient les avant-bras et de deux bracelets d’or aux poignets.

— C’est Otir ! souffla Heledd à l’oreille de Cadfael.

Elle était arrivée près de lui sans qu’il la remarque, le bruit de ses pas avait été étouffé par le sable et elle s’était exprimée intentionnellement à voix basse. Ici elle ne devait pas seulement affronter un jeune homme plutôt sympathique dont l’attitude tolérante qu’il avait adoptée envers elle ne jouerait pas toujours en sa faveur. Turcaill, dans ce camp, n’était qu’un subordonné. Cet homme redoutable, qu’ils avaient devant eux, c’était l’autorité suprême. A moins qu’on puisse lui aussi le contrecarrer. Car il avait à ses côtés un second personnage au regard hautain, aux gestes impérieux et qui, à en juger par son allure, n’était pas homme à recevoir des ordres en courbant l’échiné.

— Et l’autre ? interrogea Cadfael sans tourner la tête.

— C’est Cadwalader. Ce n’étaient pas des histoires. Il a bien amené au pays de Galles cette bande de sauvages aux cheveux longs pour forcer le seigneur Owain à lui rendre tout ce qu’il lui a pris. Le Danois, je l’ai entendu l’appeler par son nom.

Plutôt bel homme, ce Cadwalader, songea Cadfael, appréciant son apparence physique tout en manifestant une sérieuse réserve envers son caractère. Il n’était pas aussi grand que son frère, mais suffisamment pour porter avec grâce sa silhouette imposante. En comparaison du Danois, râblé et musclé, il avait une démarche élégante, autoritaire. Il était plus brun qu’Owain, avec des cheveux roux, épais, qui bouclaient sur sa tête aristocratique, des yeux noirs dédaigneux bien écartés sous des sourcils qui se rejoignaient presque, d’une nuance plus sombre que ses cheveux. Rasé de près, il s’était mis à la mode danoise pendant son séjour auprès de ses hôtes de Dublin, ce que montraient ses vêtements ainsi que leurs ornements de sorte qu’à première vue, on ne l’aurait pas pris pour un prince gallois, à l’origine de cette expédition outre-mer, susceptible de provoquer la ruine de son pays. Il avait la réputation d’être emporté, violent, d’une folle générosité envers ses amis et de ne jamais pardonner à ses ennemis. Tout cela se lisait sur son visage comme dans un livre ouvert. Il n’était pas difficile non plus de comprendre pourquoi Owain continuait à aimer son frère, qui était une source d’ennuis, après toutes les avanies qu’il lui devait et leurs innombrables réconciliations.

— Il ne manque pas de charme, constata Cadfael, contemplant prudemment cet homme dangereux.

— Si son comportement était à l’avenant ! répliqua Heledd.

Les deux chefs s’étaient éloignés vers l’est et le détroit, entourés de leurs capitaines. Cadfael, lui, poursuivit son chemin en direction du sud, pour mieux voir l’approche par la terre que devrait emprunter Owain s’il voulait enfermer les envahisseurs dans leurs défenses, sur la plage. Heledd l’accompagna, non pas, jugea-t-il, parce qu’elle avait besoin du réconfort de sa présence ou d’une présence quelconque, mais parce qu’elle aussi souhaitait en savoir plus sur les conditions de leur captivité, et elle savait qu’à deux on réfléchit mieux que seul.

— Alors, comment vous portez-vous ? interrogea Cadfael, l’observant de près et la trouvant calme, maîtresse d’elle-même, déterminée, ce qui se voyait à sa bouche et à ses yeux. Vous a-t-on bien traitée dans ce lieu où il n’y a pas de femmes ?

— Je n’en avais pas besoin, répliqua-t-elle avec un sourire et une moue indulgente. S’il le faut, je saurai me défendre, mais pour l’instant ce n’est pas le cas. On m’a attribué une tente, le gamin m’apporte à manger, et pour le reste, on me laisse me débrouiller seule. On ne me permet pas d’approcher de trop près la rive est. J’ai essayé. Ils doivent se douter que je nage comme un poisson.

— Vous n’avez pourtant rien tenté quand on n’était qu’à une centaine de brasses de la côte, murmura Cadfael, sans approuver ni désapprouver.

— En effet, admit-elle, avec un petit sourire, sans ajouter aucun commentaire.

— Et même si on pouvait récupérer nos chevaux, poursuivit-il, philosophe, on ne pourrait pas échapper à tous ces hommes d’armes.

— N’oubliez pas que le mien boite, admit-elle de nouveau avec ce petit sourire qui ne s’adressait qu’à elle.

Il n’avait jusqu’à présent pas eu l’occasion de lui demander comment elle avait trouvé son cheval et l’avait volé aux écuries du prince alors que la fête battait son plein, avant qu’on ait eu le temps de prévenir Owain depuis Bangor des menaces venues d’Irlande. Il lui posa donc la question maintenant.

— Comment diable avez-vous mis la main sur ce cheval que vous n’avez pas tardé à vous approprier ?

— Je l’ai trouvé, répondit-elle simplement. Tout sellé, bridé, attaché à l’abri des arbres, à deux pas du portail. Je n’en aurais jamais espéré autant. J’ai pris cela pour un heureux présage et j’ai été très heureuse de ne pas avoir à filer à pied en pleine nuit. Mais je n’aurais pas hésité. Quand je suis allée remplir le pichet, ça ne m’avait même pas effleuré, mais une fois dans la cour je me suis demandé pourquoi je reviendrais. Il n’y avait rien à Llanelwy à quoi je tienne ni rien que je désire à Bangor ou Anglesey. Il devait cependant y avoir quelque chose qui me conviendrait en ce bas monde. Pourquoi ne pas partir et le chercher, si personne ne peut le trouver pour moi. J’étais là, dans l’ombre, au pied du mur, les gardes ne m’avaient pas remarquée, je me suis glissée derrière eux. Je n’avais rien, je n’ai rien voulu prendre, ayant décidé de partir comme ça. C’était mon choix. Mais parmi les arbres, j’ai trouvé ce cheval sellé, bridé et prêt pour moi, un don de Dieu que je n’avais pas le droit de refuser. Si aujourd’hui, je ne l’ai plus, conclut-elle, très solennelle, c’est peut-être qu’il m’a conduite où je devais aller.

— Si ça se trouve, ce n’est qu’une étape de votre voyage, pas la dernière, observa Cadfael, j’en suis sûr. Vous et moi sommes ici des otages, situation fort inconfortable et, si je ne me trompe, vous avez un goût marqué pour la liberté. Il nous faut encore nous sortir de ce guêpier ou attendre qu’Owain s’en charge à notre place, poursuivit-il, revenant non sans quelque étonnement sur les propos qu’elle venait de lui tenir et repensant à tout ce qui s’était produit à Aber. Alors comme ça, cet animal avait été caché dans l’enceinte, tout prêt à partir. Si le ciel vous l’avait destiné, quelqu’un avait eu une tout autre intention à son égard quand il l’a sellé et conduit dans les bois. En réalité, je crois que Bledri ap Rhys comptait s’en servir pour rejoindre son maître et tout lui révéler des forces du prince. Il s’était préparé un moyen de fuir, juste à l’extérieur des portes. Et pourtant on l’a retrouvé dans sa chambre, nu, pas exactement en tenue de cavalier. Nous sommes devant une énigme. Est-il allé se coucher en attendant que tout le monde dorme au château ? A-t-il été tué avant que ce moment ne vienne ? Et comment se proposait-il de filer alors que toutes les portes étaient gardées ?

Heledd l’étudiait attentivement, les sourcils froncés, se demandant si elle comprenait bien ce qu’il disait mais, mais n’hésitant pas à formuler des hypothèses sur ce qui lui était encore obscur.

— Quoi ? Bledri ap Rhys serait mort ? Assassiné ? Cette nuit-là ? Celle où je me suis enfuie ?

— Vous n’étiez pas au courant ? C’était après votre départ, comme les nouvelles de Bangor, d’ailleurs. Personne ne vous a donc prévenue ?

— J’ai su pour les Danois, oui, on ne parlait que de ça le lendemain matin. Mais personne ne m’a parlé d’un meurtre, pas un mot.

Bien sûr, ça n’avait pas tellement d’importance, comparé à l’invasion des Irlandais, message que les courriers d’Owain ne manqueraient pas de transmettre de village en village et de château en château ainsi que le rassemblement à Carnarvon, mais le crime… Heledd était touchée de ce qu’elle apprenait aussi tard. Une mort n’est jamais réjouissante, surtout celle d’un homme qu’elle avait plus ou moins connu, voire utilisé à sa manière, pour piquer au vif un père qui ne répondait pas à sa tendresse comme elle l’aurait souhaité.

— Cela me désole, prononça-t-elle. Il était si plein de vie. Quel gâchis ! Vous pensez qu’on l’a tué pour l’empêcher de partir ? Un guerrier de plus pour Cadwalader qu’on accueillerait d’autant mieux qu’il connaissait les plans du prince ? Tué par qui ? Qui aurait pu le percer à jour ? Et prendre de telles mesures pour contrarier ses plans ?

— Je n’en ai pas la moindre idée et je ne me hasarderai à aucune conjecture. Mais tôt ou tard, le prince saura. L’homme était son hôte, jusqu’à un certain point Il tirera vengeance de ce crime.

— Vous pensez qu’il y aura une autre mort, s’écria-t-elle, amère. Cela ne ressuscitera pas Bledri !

Il n’y avait pas de réponse à ces mots, qui suggéraient d’autres questions, posant de délicats problèmes sur les arcanes du bien et du mal. Ils continuèrent ensemble jusqu’à un point plus élevé près de l’extrémité sud du camp retranché. Personne ne tenta de les arrêter, et pourtant de nombreux Danois les regardèrent passer avec curiosité et intérêt quand ils traversèrent leurs lignes. Sur la colline, au-dessus des arbres rares, ils prirent le temps de scruter le terrain tout alentour.

Otir avait choisi de s’établir non pas sur les sables au nord du détroit, où la côte d’Anglesey se prolongeait sur une vaste étendue de dunes et de landes, pas très sûre quand la marée montait haut, et se terminait par une longue barrière de galets et de sable que le vent déplaçait, mais au sud où la péninsule qui s’y abritait était plus haute, plus sèche. Elle abritait un ancrage profond et offrait une défense beaucoup plus efficace, ainsi qu’un accès plus rapide à la haute mer, en cas de besoin. Sa situation, qui faisait face à la place forte de Carnarvon, où Owain avait regroupé ses forces, n’avait pas impressionné les envahisseurs. Les rives du campement qu’avait établi Otir étaient bien défendues, l’approche par voie de terre suffisamment étroite pour représenter un formidable obstacle en cas d’assaut, et une vaste baie d’eau vive le séparait de la ville. Cadfael se rappela que plusieurs rivières s’y jetaient, mais elles auraient, à marée basse, la taille de minces méandres argentés, entourés d’étendues sablonneuses instables qu’une armée n’affronterait pas de gaieté de cœur. Owain devrait décrire un grand détour au sud pour aborder l’ennemi en terrain sûr. Avec les six ou sept milles de marche qui le séparaient de son frère et une base sûre dont il s’était déjà emparé, Cadwalader devait se sentir pratiquement invulnérable.

En attendant ces six ou sept milles avaient singulièrement rétréci et n’en faisaient plus qu’un depuis la nuit dernière. Car quand Cadfael parvint au-dessus de l’écran de buissons, et qu’il put voir distinctement au-delà du camp vers le sud, la haute mer scintillait au soleil du matin à sa droite et, à gauche, les hauts-fonds, tout pâles et les sables de la baie. Il distingua sans erreur possible dans le lointain le miroitement des armes et des tentes hautes en couleurs, adoucies par la distance, mur érigé pendant la nuit. Avec les premières lueurs du jour, on devinait des mouvements évoquant les reflets du vent dans les blés mûrs ; c’étaient des soldats qui allaient et venaient, sans se presser, occupés à renforcer leurs défenses nouvellement établies. Hors de portée de lances ou de flèches, Owain avait conduit son armée à pied d’œuvre sous le couvert de l’obscurité et avait pris le haut de la péninsule pour y coincer les Danois. Il n’avait pas attendu que l’herbe lui pousse sous les pieds. Front contre front, tels deux béliers prêts à se mesurer, l’un ou l’autre des deux partis devrait prendre l’initiative sans tarder.

 

Ce fut Owain qui s’y décida le premier et avant la fin de la matinée, pendant que les chefs danois essayaient de comprendre comment ses troupes avaient pu se matérialiser si près de chez eux et tentaient de se mettre d’accord sur ce qu’il pouvait avoir derrière la tête maintenant qu’il était là. Il était peu probable qu’ils s’inquiètent pour leur sécurité étant donné l’accès rapide qu’ils avaient à la mer, si cela s’avérait indispensable, et la supériorité de leurs vaisseaux. Il était également vraisemblable qu’ils s’interrogeaient sur l’importance de la garnison laissée pour défendre Carnarvon et l’opportunité d’attaquer la ville par la mer si le prince lançait une attaque directe sur leur camp. Mais ils n’étaient pas encore sûrs qu’il tenterait une action aussi coûteuse. Ils restèrent donc à observer attentivement les lignes adverses au loin et attendirent. S’il était déjà enclin à laisser son frère rentrer en grâce – ce ne serait pas la première fois –, à quoi bon se donner la peine de contrarier une disposition aussi favorable ?

C’était le milieu de la matinée, avec un soleil haut et pâle, quand on vit apparaître deux cavaliers qui émergèrent d’un léger creux dans les sables entre les deux armées. Il s’agissait pour l’instant de simples points à l’horizon, se montrant et disparaissant selon la nature du terrain, se dirigeant manifestement vers les lignes danoises. Il y avait à peine une demi-douzaine d’habitations dans toute cette étendue de dunes et de landes, car elle ne comportait quasiment ni bonnes pâtures ni terres arables, et il était hors de doute qu’elles avaient été évacuées durant la nuit. Ces deux silhouettes solitaires étaient les seuls habitants de cet espace désert entre les forces ennemies, et il devint bientôt évident qu’elles étaient chargées d’ouvrir des négociations afin d’éviter une bataille sanglante autant qu’inutile. Otir attendait qu’ils soient plus près avec une satisfaction nuancée de prudence, alors que Cadwalader était manifestement tendu, tout en espérant la victoire. Cela se voyait à l’arrogance avec laquelle il foulait le sol gallois et à la façon dont il avait relevé la tête, les paupières rétrécies, pour mieux voir les envoyés du prince.

Tout juste hors de portée des lances et des flèches, le second cavalier s’arrêta et attendit, protégé par un mince rideau d’arbres. L’autre s’arrêta jusqu’à se placer à portée de voix, avant d’immobiliser sa monture, regardant le groupe sur la colline, au-dessus de lui, qui observait son approche.

— Seigneurs ! cria-t-il distinctement, Owain Gwynedd envoie un messager pour parler avec vous en son nom. C’est un homme de paix, il est accrédité par le prince et ne porte pas d’armes. Acceptez-vous de le recevoir ?

— Qu’il vienne ! répondit Otir. Nous l’accueillerons avec les honneurs.

Le héraut se retira à distance respectueuse. Le second cavalier piqua des deux et s’élança vers l’orée du camp. Quand il fut tout près, on vit qu’il était petit, mince, jeune, et qu’il montait avec plus d’efficacité que de grâce, comme s’il avait été habitué à des percherons plutôt qu’à d’élégants destriers réservés aux souverains et à leurs ambassadeurs. Quand il arriva encore plus près, Cadfael, qui ne regardait pas avec moins d’enthousiasme que les autres depuis la crête des dunes, retint son souffle avant de pousser un profond soupir. Le cavalier portait la robe noire toute simple des bénédictins : c’était frère Mark, digne autant que sérieux. C’était effectivement un homme de paix, messager de deux évêques et maintenant d’un souverain. Il était certain qu’il avait demandé à être chargé de cette mission, faisant valoir à Owain que ce serait une excellente chose d’employer quelqu’un dont nul ne pourrait soupçonner les motivations, qui n’avait rien à perdre, que sa liberté, sa vie ou sa tranquillité. Il n’avait nul seigneur à flatter, de compte à régler avec personne, rien à espérer pour lui-même des Gallois, des Irlandais, ou de n’importe qui d’autre. Il était suffisamment humble pour pouvoir, comme par magie, redonner le sens de la mesure à des hommes pleins d’orgueil.

Frère Mark parvint aux abords du camp ; les gardes s’écartèrent pour le laisser passer. Ce fut le jeune Turcaill, deux fois plus grand que Mark, qui s’avança civilement pour lui prendre la bride quand il mit pied à terre ; puis il gravit d’un pas vif la pente douce au sommet de laquelle Otir et Cadwalader attendaient de lui souhaiter la bienvenue.

 

Sous la tente d’Otir où s’étaient rassemblés le Danois et ses adjoints, sans oublier tous ceux qui avaient pu se glisser jusqu’à l’entrée, frère Mark transmit son message, en partie en son nom propre, en partie en celui d’Owain Gwynedd. Conscient d’instinct que ces pirates s’attribuaient des droits au grand conseil, il s’arrangea pour parler à haute et intelligible voix de façon que tous les présents puissent l’entendre correctement jusqu’à l’extérieur de la tente. Cadfael s’était arrangé pour se placer à proximité et écouter ce qu’il se passait, et personne ne s’était formalisé de sa présence. En tant qu’otage, les propos qui allaient se tenir le concernaient dans une certaine mesure. Tous ceux qui avaient quelque chose en jeu dans cette affaire exerçaient librement le droit de défendre leur position.

— J’ai personnellement demandé, seigneurs, prononça Mark, prenant le temps de trouver les mots justes et de leur donner tout leur poids, à entreprendre cette ambassade parce que je ne suis en rien concerné par la querelle qui vous a amenés au pays de Galles. Je ne porte pas d’armes et je n’ai rien à gagner, ce qui est loin d’être votre cas à vous et à tous ceux qui vous accompagnent, vous avez tout à perdre si l’affaire se conclut dans un bain de sang. Si j’ai entendu force récriminations de part et d’autre, ce n’est pas le langage que je compte vous tenir. Je me contenterai d’indiquer que la haine entre deux frères me désole autant que celle qui oppose deux peuples, et je tiens pour vérité première que toute dispute peut se résoudre sans violence. Quant au prince de Gwynedd, Owain ap Griffith ap Cynan, voici ce qu’il a à déclarer par ma bouche. Il me charge de vous informer que si Cadwalader, son frère, a des griefs à exprimer, qu’il vienne en discuter avec lui face à face. Sa sécurité sera garantie aussi bien en venant qu’en repartant.

— Et je dois me contenter de sa parole sur sa bonne mine ? demanda Cadwalader.

Mais à en juger par l’éclair de satisfaction qui brilla fugitivement dans son regard, cette approche des choses ne lui déplaisait pas.

— Vous savez très bien que vous le pouvez, se borna à répondre Mark.

Évidemment qu’il le savait, comme tout le monde ici. Les Irlandais avaient déjà eu l’occasion de traiter avec Owain Gwynedd auparavant, à de nombreuses reprises et parfois pacifiquement. Il avait de la famille là-bas et on savait ce qu’il valait à Dublin aussi bien qu’au pays de Galles. Les traits de Cadwalader brillaient de plaisir contenu, comme s’il trouvait ce premier échange plus qu’encourageant. Owain avait compris l’avertissement en voyant la puissance déployée par les envahisseurs et il se préparait à se montrer conciliant.

— Mon frère a la réputation d’être un homme de parole, admit-il gracieusement. Je ne voudrais certes pas qu’il croie que j’ai peur de le rencontrer face à face. C’est bon, je viendrai.

— Attendez un peu ! s’exclama Otir, changeant de place sur son banc qui trembla sous sa masse formidable. Au départ, c’est un problème qui concernait deux hommes, mais nous sommes un peu plus nombreux à présent, et je tiens à ce qu’on respecte les termes du contrat qui nous a amenés ici, mon ami. Si cela vous convient de renoncer à vos avantages sur la simple parole d’un homme, sans garantie officielle, moi je n’y suis pas prêt. Si vous partez pour vous rendre chez Owain et que vous vous soumettiez à lui de gré ou de force, j’exige un otage pour garantir votre retour et pas une promesse en l’air.

— Eh bien, je suis là, déclara simplement Mark. Je suis disposé à jouer ce rôle en attendant le retour sans encombre de Cadwalader.

— En avez-vous reçu commission ? demanda Otir, soupçonneux quant à l’efficacité d’un tel échange.

— Non, mais je vous le propose. C’est votre droit, si vous craignez une trahison. Le prince ne vous contredirait pas.

Otir observa le mince jeune homme devant lui. Il commençait à l’apprécier, mais demeurait sceptique.

— Et le prince attacherait autant d’importance à votre personne qu’à son parent et ennemi ? Il me semble que je serais tenté de mettre en cage l’oiseau que j’ai sous la main et de laisser l’autre s’envoler… ou disparaître.

— Je suis dans une certaine mesure l’hôte d’Owain et aussi son messager… répondit Mark sans se démonter. La valeur qu’il m’accorde est celle de sa justice et de son honneur. Ne vous attendez pas à plus.

Otir laissa échapper un énorme éclat de rire et se tapa sur les cuisses.

— Voilà qui me plaît ! Allez, topez-là, mon frère, et soyez le bienvenu ! Nous avons déjà un de vos collègues parmi nous. Comme lui, vous pouvez vous déplacer à votre convenance dans le camp, mais attention, évitez de vous aventurer trop près des portes. Mes gardes ont leurs ordres. Ce que j’ai pris, je le garde, tant que je n’en ai pas reçu un bon prix. Quand le seigneur Cadwalader reviendra, vous serez libre de retourner auprès d’Owain et vous lui fournirez la réponse qui vous conviendra à tous les deux.

Cadfael comprit que cet avertissement clair et net s’adressait à Mark aussi bien qu’à Cadwalader.

Il n’y avait pas une grande confiance entre eux deux. S’il exigeait une garantie pour le retour de Cadwalader, ce n’était pas simplement par inquiétude à son égard, mais plutôt une précaution face au marché que pourrait proposer Owain. Cet homme était un placement, à protéger avec soin mais en qui il n’aurait jamais, au grand jamais, confiance. Une fois hors de vue, qui peut dire ce qu’un seigneur aussi emporté pourrait faire d’avantages que les circonstances lui offriraient ?

Cadwalader se leva, étirant souplement son corps superbe avec une assurance pleine de satisfaction. Quelles que soient les réserves des autres, lui avait trouvé la position de son frère des plus encourageantes. La menace pesant sur la paix de Gwynedd avait été estimée à sa juste valeur, et Owain était prêt à céder du terrain, de quelques pouces, peut-être, assez en tout cas pour éviter le chaos. Tout ce qu’il avait à faire, lui Cadwalader, était d’aller à ce rendez-vous, se comporter comme il le fallait en public, tout en ne cédant rien, en privé, de ses exigences ; de cette façon, il récupérerait son bien, chaque toise des terres qu’on lui avait prises, et jusqu’au plus petit vassal. Quelle autre conclusion pouvait-on attendre quand Owain montrait à ce point patte de velours à la première occasion ?

— Je me rends chez mon frère, déclara-t-il avec un sourire sinistre. Ce que j’en rapporterai, ce sera notre gain à tous, vous et moi.

 

Frère Mark s’assit aux côtés de Cadfael, au creux d’une dune de sable dominant la haute mer, dans la lumière claire, presque sans ombre de l’après-midi. Devant eux, le sable s’étendait, sculpté par les vents marins, s’enroulant en vagues dorées, et une herbe tenace, coupante, poussait jusqu’au bord de l’eau. A bonne distance du rivage, sept embarcations de la flotte d’Otir avaient jeté l’ancre. Quatre d’entre elles étaient de robustes péniches trapues, assez vastes pour loger un important butin s’il s’avérait utile de quitter Gwynedd par la force, et les trois autres étaient les plus grands de ses longs vaisseaux. Les plus petits et les plus rapides de ses bateaux étaient regroupés à l’embouchure de la baie, où l’ancrage était particulièrement sûr et permettait de les tirer au sec si nécessaire. Vers l’ouest, derrière les nefs, s’ouvrait la haute mer, couleur d’argent, réfléchissant un ciel bleu pâle, sans nuages, marqué cependant en différents endroits par les ors voilés des bancs de sable.

— Je savais bien que je vous trouverais ici, Cadfael. Mais je serais venu, même sans l’attrait de votre présence. Je revenais vers le lieu de notre rendez-vous quand ils sont passés. Je vous ai vus, la jeune fille et vous. Le mieux était de filer à Carnarvon et de tout raconter à Owain. Il ne vous oublie pas, croyez-moi, mais ce qu’il avait derrière la tête en suggérant cette rencontre, je n’en sais fichtre rien. Apparemment, vous ne vous en êtes pas trop mal tirés avec ces Danois. Je vous trouve plutôt en forme. J’avoue que j’étais plus inquiet pour Heledd.

— Point n’était besoin. Il était évident que nous avons de la valeur pour le prince, qui n’hésiterait pas à payer notre rançon, d’une façon ou d’une autre. Ils soignent leurs otages, vous savez. On leur a promis une récompense qu’ils comptent bien gagner au moindre coût. Ils éviteront donc de provoquer les gens de Gwynedd et de les forcer à sortir en masse, à moins que les choses ne tournent au vinaigre pour eux. Ils ont été très courtois envers Heledd.

— Elle vous a expliqué ce qui lui a pris ? Quelle mouche l’a piquée pour disparaître ainsi d’Aber, et comment a-t-elle réussi à passer inaperçue ? Et puis d’abord, ce cheval ?… Je l’ai vu ici, avec le harnachement qu’on lui a mis, aux écuries du prince. Comment l’a-t-elle trouvé ?

Cadfael le lui expliqua, ajoutant qu’elle serait partie de toute façon, à pied si nécessaire.

— Vous y comprenez quelque chose, vous ? Parce que je suis sûr qu’elle ne ment pas.

Mark y réfléchit pendant quelques minutes, très grave.

— Bledri ap Rhys ? hasarda-t-il, dubitatif. Avait-il eu l’intention de s’enfuir et préparé un cheval à cet effet au cours de la journée, avant qu’on ne referme les portes ? Et un inconnu, le soupçonnant de rester obstinément fidèle à son seigneur, l’a empêché définitivement de partir ? Mais il n’a rien laissé paraître de son départ éventuel. Mon avis est qu’il n’était pas mécontent d’être l’hôte d’Owain, ce qui lui évitait un mauvais coup.

— Une seule personne connaît la vérité, déclara Cadfael, et elle a d’excellentes raisons de se taire. N’importe, on finira par savoir la vérité. Le prince n’acceptera jamais d’en rester là. J’en ai parlé à Heledd qui m’a reproché d’envisager un autre meurtre, ce qui ne ramènerait pas Bledri.

— Elle n’a pas tort, acquiesça Mark, l’air sombre. Elle a plus de bon sens que la plupart des princes et bon nombre de religieux. Tiens, je ne l’ai pas encore vue, dans le camp. A-t-elle le droit, comme vous, de s’y promener librement, à condition de ne pas en sortir ?

— Si vous voulez la voir, il vous suffit de tourner la tête à droite, là où la langue de sable pénètre dans les hauts fonds.

Frère Mark obéit à cette injonction. La langue de sable en question, bordée d’un liséré d’herbe blonde, dure, montrant qu’elle n’était pas totalement submergée même à marée haute, s’enfonçait dans les bancs de sable, à leur droite, tels une main et un poignet grêles tendus vers un bras, plus long, qui s’étirait vers le sud depuis les rives d’Anglesey. Il y avait suffisamment de terre, en haut du monticule, pour que quelques buissons puissent pousser et un petit groupe de rochers se dressait dans le sable friable. Heledd marchait sans hâte, suivant le poignet tendu en direction de la phalange de pierre. A un moment, elle dut patauger jusqu’à la cheville pour y arriver. Là, elle s’assit sur un rocher, regardant la mer, les yeux tournés vers les côtes d’Irlande, invisibles, inconnues. A cette distance elle paraissait très fragile, vulnérable, silhouette solitaire, si mince. On aurait pu croire qu’elle cherchait à s’éloigner autant que possible de ses ravisseurs en un geste de défense pitoyable pour se soustraire à un sort auquel elle ne pouvait physiquement échapper. Seule au bord de l’océan, sous le ciel vide, devant ces eaux vides, elle cherchait une sorte de liberté, au moins mentalement. Frère Cadfael trouva l’image qu’elle offrait à la fois attirante et trompeuse. Fine mouche, Heledd se rendait parfaitement compte des avantages et des inconvénients de sa situation et savait très bien qu’elle n’avait pas grand-chose à craindre, à supposer qu’elle eût une nature craintive, ce qui n’était pas vraiment le cas. Elle savait également jusqu’à quel point elle pouvait exercer sa liberté de mouvement. Sinon, elle n’aurait jamais pu approcher du rivage de la baie sans qu’on l’intercepte. On n’ignorait pas qu’elle était bonne nageuse. Mais, de cette plage, il n’y avait pas moyen de s’échapper. Là, elle pouvait patauger dans les hauts-fonds tout son soûl, personne ne lèverait le petit doigt pour l’en empêcher. Même s’il n’y avait pas eu une flottille danoise tout près des côtes, elle n’allait pas se sauver en Irlande. Elle était assise immobile, entourant ses genoux de ses bras nus, le regard tourné vers l’ouest, mais à la façon dont elle dressait la tête, aussi loin qu’elle fût, elle paraissait écouter attentivement. Au-dessus d’elle les mouettes tournaient en criant. La mer était calme, éclairée de soleil, évoquant pour le moment un chat assoupi. Et Heledd attendait, l’oreille aux aguets.

— Jamais créature ne parut aussi désespérée, murmura Mark, à mi-voix. Il faut que je lui parle dès que possible, Cadfael. A Carnarvon, j’ai vu son fiancé. Toutes affaires cessantes, il a quitté son île pour rejoindre Owain. Il faut qu’elle sache qu’on ne l’abandonne pas. C’est un type bien, ce Ieuan, et décidé, pas du genre à renoncer à sa fiancée en courbant l’échine. Même si Owain pouvait être tenté de l’abandonner à son triste sort – ce qui n’est pas envisageable ! – Ieuan ne s’y résoudrait jamais. S’il n’avait pour combattre pour elle que les quelques hommes dont il dispose, il poursuivrait la lutte, je vous le garantis. C’est l’Église et le prince qui la lui ont donnée, et il est tout feu tout flamme.

— Je veux bien croire qu’on lui a trouvé un brave garçon, doté de tous les avantages, admit Cadfael. Sauf un. Ce n’est pas elle qui l’a choisi.

— Elle aurait pu tomber sur bien pire. Quand elle le verra, qui sait si elle ne se laissera pas séduire ? Et puis en ce bas monde, les hommes comme les femmes doivent apprendre à se contenter de ce qu’ils ont, philosopha Mark, un peu triste.

— Si elle avait trente ans ou plus, peut-être verrait-elle les choses sous cet angle, prononça Cadfael, mais à dix-huit ans, permettez-moi d’en douter.

— S’il survient tout armé pour l’emmener, à dix-huit ans aussi ça compte, observa Mark, à moitié convaincu toutefois.

— Je ne me hasarderais pas à parier là-dessus, répondit Cadfael. Parce que, de toute façon, il ne serait pas le premier. Sur ce point aussi, j’ai des doutes.

Turcaill n’apparut dans le champ de vision de frère Mark que quand il se dirigea vers la langue de terre. Dédaignant l’eau qui le séparait, il y pataugea joyeusement pour la rejoindre plus vite. Elle continua à lui tourner le dos mais il était sûr qu’elle était tout ouïe.

— Qui est-ce ? interrogea Mark qui se raidit en le voyant.

— Un certain Turcaill, fils de Turcaill. Si vous nous avez vus pendant qu’on nous emmenait aux bateaux, avec sa taille, vous n’avez pas pu le rater. Il nous dépasse tous d’une tête.

— C’est entre ses mains qu’elle est tombée ? demanda Mark, regardant en fronçant le sourcil Heledd qui, sur son île minuscule, continuait à se comporter comme si nul intrus ne venait d’arriver, dont la présence méritât qu’on la remarque.

— Selon vos propres termes, il est survenu tout armé pour l’emmener.

— Mais qu’est-ce qu’il lui veut ? s’étonna Mark, sans les quitter des yeux.

— Oh ! aucun mal. Ce n’est pas lui qui commande ici, mais de toute manière il ne lui veut pas de mal.

Le jeune homme surgit de l’eau dans un nuage d’embruns près du rocher d’Heledd et se laissa tomber, non sans une certaine grâce, à ses pieds, dans le sable. Elle ne montra pas qu’elle l’avait vu, sauf qu’elle s’écarta un peu de lui. A cette distance, il était impossible d’entendre ce qu’ils se racontaient, mais, curieusement, Cadfael eut soudain l’impression que ce n’était pas la première fois qu’Heledd venait s’asseoir à cet endroit et que Turcaill était déjà venu s’installer à ses côtés.

— Ils ont une petite guerre secrète en train, dit-il placidement, et ça leur plaît à tous deux. Il aime bien la mettre en colère et elle aime le narguer.

Ce sont des jeux d’enfants, songea-t-il, une série d’escarmouches qui les aide à passer agréablement le temps, d’autant plus agréablement qu’ils ne sont dupes ni l’un ni l’autre.

Il lui vint plus tard à l’esprit qu’il ne respectait pas la règle qu’il s’était fixée et qu’il pariait alors que l’issue était loin d’être acquise.

L'Été des Danois
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